Maud Wagner,première femme artiste tatoueuse des Etats-Unis
Photographie de Maud Wagner
Vous n’en avez probablement jamais entendu parler. C’est une histoire injustement méconnue. Pourtant c’est celle d’une femme qui fut une pionnière, dans une Amérique Victorienne prude. Elle fut artiste, vagabonde, entrepreneuse, tatoueuse et femme tatouée. Surtout, elle était libre.
Son récit est aussi une histoire d’amour et de tatouages, qui est devenue une affaire de famille.
Nous sommes aux Etats-Unis à la fin du XIXème siècle. La femme sur cette photo, avec le regard digne et franc, s’appelle Maud Stevens. Elle naît en 1877 dans le Kansas et quitte très jeune la ferme de ses parents pour intégrer un cirque itinérant et devenir voltigeuse et contorsionniste.
En 1904 a lieu l’Exposition universelle de Saint-Louis, dans le Missouri.
Affiche en Français de l’Exposition universelle de 1904
C’était la plus importante foire jamais réalisée : elle accueillit 62 pays étrangers, qui tous mettaient en avant leurs industries et leurs agricultures, et a duré pas moins de sept mois. Il fallait plus d’une semaine pour en faire une visite complète.
Photographie de l'Exposition Universelle de 1904 à Saint-Louis
C’est aussi à cette occasion que de nombreux aliments furent proposés pour la première fois au public à grande échelle, comme le cornet de glace, la barbe à papa, le hamburger, le hot dog, le thé glacé ou la boisson Dr Pepper.
Photographie de l’Exposition universelle de 1904 à Saint-Louis
Embouteillage devant l’entrée de l’Exposition Universelle de 1904 à Saint-Louis
Maud est présente à l’Exposition universelle avec sa troupe. Elle fait la rencontre de Auguste Wagner, dit « Gus », un ancien marin marchand qui a voyagé durant des années : Vera Cruz, Londres, Cape Town, Sydney, Auckland, Honolulu, New-York, San Francisco… Il découvre l’art du tatouage dans chaque port et a été initié par les indigènes de Java et Bornéo. A son retour en Amérique, il est devenu l’un des premiers artiste-tatoueur professionnel.
Gus Wagner disait : « J’ai l’histoire de ma vie sur la poitrine, l’histoire de l’Amérique sur mon dos, mes aventures en mer sur chaque bras, l’histoire du Japon sur une jambe et celle de la Chine sur l’autre ». Avec ses 264 tatouages sur le corps (il en aura plus de huit cent à sa mort), il se revendique « l’homme le plus tatoué d’Amérique » et s’expose lors des spectacles. Il fait fortune en tatouant plus de 1900 personnes lors des foires.
J’ai l’histoire de ma vie sur la poitrine, l’histoire de l’Amérique sur mon dos, mes aventures en mer sur chaque bras, l’histoire du Japon sur une jambe et celle de la Chine sur l’autre
Gus Wagner
Gus invite Maud à sortir. Elle accepte à une condition : elle veut apprendre à tatouer. Marché conclu, il lui inculquera son savoir-faire dans le tatouage traditionnel « hand-poke » durant trois années, et elle deviendra à la fois son élève et son support.
Photographie de Gus Wagner tatouant Maud en utilisant la technique traditionnelle du hand-poke.
Malgré l’invention de la machine électrique en 1891, tous deux restent fidèles au travail du tatouage à la main appelé « and-poke ».
Tatouage à la machine et tatouage traditionnel
Technique originelle du tatouage, le handpoke (dessin de droite) consiste à piquer la peau à l’aide d’une aiguille imbibée d’encre. C’est une technique plus douce, parfois moins douloureuse que la machine, mais aussi beaucoup plus lente et pas toujours adaptée aux dessins de grandes dimensions.
Le tatouage dit moderne (dessin de gauche) consiste à relier une machine à une aiguille et à déposer l’encre sous la peau grâce à l’action de bobines ou d’un moteur qui fait bouger l’aiguille de haut en bas.
Maud et Gus se marient en 1907. Maud quitte le cirque mais pas sa vie d’artiste itinérante. Avec Gus, elle monte un spectacle d’exhibition et propose des séances de tatouage après les spectacles.
Photographie de Gus et Maud Wagner
Publicité pour le spectacle de Gus et Maud Wagner
Gus Wagner est réputé. Maud, elle, dénote. Pas facile d’être une femme dans cet univers à la fois marginal et très masculin. Le couple est obligé d’inscrire M. Stevens Wagner sur les affiches et réclames. La persévérance et la qualité de son travail payent : elle est reconnue par ses clients.
Le tatouage aux Etats-Unis étaient traditionnellement pratiqué dans les ports car ce sont les marins qui l’ont rapporté de leurs voyages. Les Wagner contribuent largement à faire connaître le tatouage loin des ports, à l’intérieur des terres d’Amérique. Ils comptent également parmi les derniers artistes tatoueurs de l’époque à travailler le tatouage traditionnel et bientôt, la réputation de Maud fait le tour de l’Amérique. Son corps, lui aussi, se remplit de tatouages : papillons, lions, serpents, arbres, et son nom qu’elle porte sur le bras gauche, créaient un univers lyrique et poétique.
En 1910, Maud et Gus eurent une fille, Lotteva, qui fut piquée très tôt par l’aiguille. Elle effectua son premier tatouage à l’âge de 9 ans. Lotteva a suivi le chemin tracé par sa mère et est elle aussi devenue artiste tatoueuse. Maud avait interdit à son mari Gus de tatouer leur fille. Par fidélité envers son père, Lotteva ne s’est jamais fait tatouer
Photographie de Gus et Maud Wagner avec leur fille, Lotteva.
Frappé par la foudre, Gus décède en 1941. Maud continue de tatouer avec sa fille et décède en 1961 à Lawton, dans l’Oklahoma.
Photographie de Lotteva Wagner tenant le portrait de sa mère
Maud est toujours reconnue comme l’une des pionnières dans l’histoire du tatouage féminin et de son émancipation. Ses dessins ont inspiré d’innombrables artistes tatoueurs et férus du tatouage de style américain. Surtout, son portrait célèbre a été repris et interprété par de nombreux artistes. Voici quelques exemples :
Certaines personnes se font aussi tatouer le portrait de Maud Wagner :
Découvrez le #maudwagner sur Instagram, où les artistes font régulièrement référence à cette icône du monde du tatouage: https://www.instagram.com/explore/tags/maudwagner/
Enfin, vous pouvez découvrir l’histoire de Maud Wagner admirablement illustrée en image : https://www.youtube.com/watch?v=ZEm9f4oxCWI